Parabole No.4 Interview in French
By Unknown. Originally appeared in Parabole No 4. Autumn 1998.
C’est étrange, je ne fais pas beaucoup d’interviews en France. Peut-être que ça ne colle pas, avec les journalistes d’ici. Pourtant, nous recevons plus de lettres de France que de n’importe quel autre pays d’Europe, même d’Angleterre. J’ai l’impression que les français sont moins timides. En tout cas, ce sont les êtres les plus en paix avec eux-mêmes que je connaisse. Quand on regarde dans la rue, ici, comparé à Londres, New York ou Berlin, les gens donnent l’impression de n’avoir besoin de rien, ni de personne. Ils n’ont pas, comme les gens à New York, ce regard qui vous dit «j’ai besoin de quelque chose». Les français ont juste l’air totalement détendus, confiants, satisfaits d’une certaine façon. C’est pour ça que j’adore les françaises: elles vous ignorent, elles n’ont pas besoin de vous. Et autant que je sache, elles n’ont pas besoin de mentir. C’est bien mieux ainsi. Avec les américaines, je n’ai eu que des problèmes. “On a le sentiment que ce troisième album est plus extraverti musicalement, les guitares y sont plus présentes, plus violentes. “Oui, absolument. C’est curieux, c’est le processus inverse de la plupart des groupes, qui expriment toute leur violence sur les deux premiers albums puis s’apaisent en vieillissant. Mais je crois que cela est dû aux conditions dans lesquelles je l’ai composé j ‘étais constamment sur la route, en voyage, jamais vraiment isolé, ce qui a permis ce côté extraverti? D’ailleurs cet aspect a guidé tout l’enregistrement: il y avait toujours plein de gens avec nous, on faisait la fête sans arrêt; on prenait beaucoup de drogues, surtout après les séances, et on allait traîner dehors, au milieu des gens. Il se produit une certaine vulnérabilité dans une telle situation, on s’expose beaucoup plus qu’en restant isolé dans un studio. Dès le départ, ces chansons étaient comme nues face à l’âpreté de la ville, à la foule. Cet album est donc un peu plus rock, plus rapide, plus brumeux aussi. Nous nous sommes vraiment éclatés, il fallait donc que toute cette énergie ressorte. “Pourtant votre musique est toujours assez mélancolique, les paroles et les structures très décalés. Est-ce encore le reflet de ta personnalité? “Je crois que, finalement, c’est le reflet de toute ma vie. Quand j’étais enfant, j ‘étais vraiment introverti, et je me suis libéré en grandissant. Même aujourd’hui, en dépit de ce que je peux ressentir, je m’efforce d’être toujours social, sympa; je n’aime pas que mes actes traduisent mon humeur du moment, je ne me sens pas assez libre pour ça. Il y a toujours en moi des sentiments mêlés de tristesse et de bonheur, qui luttent sans arrêt. Je n’aime pas être guidé par un seul sentiment à la fois, que ce soit la joie ou le désespoir… Finalement, je n’arrive jamais à être honnête dans mon rapport au monde, je ne peux pas me complaire dans tel état d’esprit car je ne suis jamais certain de rien. Et cela se ressent dans ma musique, j’essaye toujours d’être prudent, de jouer sur les deux tableaux. “Tu as l’air très attaché à l’espace, aux paysages qui t’entourent, comme le montrent tes pochettes. Est-ce une source d’inspiration pour ton écriture? ”D’habitude je vis à la campagne, mais je vis à Austin depuis quelque temps déjà. Je ne sais pas si les paysages m’inspirent tant que ça… C’est plutôt une tentative de réparation, essayer que ces images marquent l’esprit des gens; je veux toujours une pochette qui exprime le calme, la quiétude. Une sorte de combat personnel contre le chaos ambiant. “As-tu le temps de poursuivre tes activités littéraires? ”J’écris beaucoup de poésie, un livre va sortir bientôt. J’écris tout le temps, c’est quelque chose qui m’accapare en permanence. Je n’arrive pas à me contenter de faire des chansons, de les construire ; j ‘ai toujours envie d’autre chose, de ne pas faire que de la musique. “Comment as-tu travaillé pour le second album, sans Steve et Bob? “Je l’ai enregistré avec d’autres musiciens. C’était difficile de composer sans Steve, mais c’était un choix. Je crois que ces chansons étaient juste entre Dieu et moi, et je ne souhaitais pas la présence de gens que je connais, juste des «étrangers». C’est un disque très personnel, très intime, et il est parfois difficile d’être intime en présence de ses amis. Il n’y avait donc pas de place pour eux. C’était important pour moi de faire ce disque tout seul, de me retrouver isolé: lorsque je compose avec Steve, il faut toujours retravailler les chansons pour qu’elles nous plaisent à tous les deux, faire des concessions. Et pour ce disque je ne voulais pas en faire. “Considères-tu les Silver Jews comme faisant partie des groupes qui puisent leur inspiration dans de fortes racines américaines? “Oui, mais en même temps il me semble que ce n’est qu’un point de départ qu’il s’agit ensuite de pervertir, de combattre. Il y a suffisamment de groupes ringards aux Etats-Unis qui perpétuent la musique country, qui y croient à fond et veulent faire partie de cette tradition. Pour nous, c’est surtout une base dont nous faisons quelque chose d’inattendu, de non conventionnel. “Et crois-tu que votre musique peut être ressentie de la même façon par un américain et un européen? “Je crois surtout que les européens l’écoutent avec plus d’attention. Ici, vous avez en permanence accès aux rêves, aux illusions que l’Amérique veut produire? Et notre musique est à l’opposé de tout ça. Alors, il y a toujours ce décalage, ce rapport bizarre qui fait qu’un européen trouvera nos disques très américains, mais un américain les trouvera «un-american», obscurs, excentriques. Cette musique n’a pas sa place dans son pays. “Tu n’as pas l’air de porter l’Amérique dans ton coeur. “Pas du tout, j’adore ce pays! pour rien au monde je ne voudrais vivre ailleurs. J’aime l’Amérique probablement plus que quiconque, et je voudrais avoir plusieurs vies pour la connaître encore mieux. C’est une source constante d’inspiration et de fascination. Bien sûr, il y a des aspects que je rejette totalement: je déteste la Californie, ses habitants, l’Océan, Hollywood, la culture de la célébrité. Ca me rend fou de rage, mais c’est comme aimer quelqu’un: il y a toujours des choses qu’on déteste mais qu’on supporte par amour. De toute façon, s’il devait y avoir une révolution dans ce pays, il faudrait plutôt brûler Hollywood que Washington. “A quoi ressemble un concert des Silver Jews? “Oh, c’est toujours différent. Nous n’avons fait que sept concerts en sept ans. La dernière fois, c’était juste Steve et moi, deux guitares, deux amplis. On aurait dit du free-jazz… La fois d’avant, juste moi au micro avec un groupe, il y avait David Grubbs et Jim O’Rourke. Mais sur la prochaine tournée, ce sera le groupe qui a enregistré l’album. “Et où en est ton projet avec Will Oldham, « Silver Palace»? ”C’est toujours en cours… Mais Silver Palace est surtout une amitié, il n’y a pas vraiment de musique (rire). Nous avons essayé d’enregistrer cet été, mais ce n’était pas génial. Du moins pas meilleur que ce que chacun de nous fait de son côté. On ne se sent pas vraiment obligés de le faire, ça ne servirait à rien de se forcer. Et puis chacun de nous devient le producteur de l’autre pour quelques chansons. Je trouve ça vraiment amusant, j’aime bien être un peu plus dans l’ombre mais pouvoir faire des choix, avoir le dernier mot. Pouvoir tirer les ficelles. “Il y a cette phrase, sur l’album: «why is there something instead of nothing ? ». A-t-elle une signification précise pour toi? ”C’est une question philosophique très simple et très ancienne, mais tellement évidente et inévitable. Quel est le sens de tout ce qui nous entoure? je trouve cette interrogation très pesante et très belle à la fois. Je ne sais plus quel philosophe l’a posée ni en quels termes exacts… (silence).. peut-être Schopenhauer. Un jour, à l’école, le prof nous sort cette phrase et nous demande d’y réfléchir… ça m’a beaucoup marqué, sans doute. Je sais au fond de moi qu’il y a une signification dans tout ça, mais je ne sais pas laquelle. Je prie tous les jours, j’entretiens une vraie relation avec Dieu; et je sens que des principes gouvernent ma vie. J’essaie toujours de m’améliorer en tant qu’être humain ; je sais que j’ai cette responsabilité en échange de la vie qui m’a été donnée, de vivre honnêtement, correctement. Mais tout ça ne transparaît pas forcément dans ma musique, je n’y exprime pas mon entière personnalité. Pourtant je n’ai jamais voulu paraître totalement détaché de ces choses, ni complètement cynique. “Et d’où vient «Like like the the the death »? “Au départ, c’était une chanson pour Silver Palace. Nous étions chez Diane, la copine de Will, je cherchais un refrain. Et elle avait ces trucs magnétiques qu’on met sur la porte du frigo, qui formaient cette phrase… Ca signifie juste une certaine idée de la confusion. Mais l’interprétation que fait l’auditeur est tellement bizarre… Sur «Smiths and Jones forever», par exemple: en argot, «to jones» signifie attendre son dealer. Et un ami avait compris que je chantais «sit and jones forever » “Y a-t-il des disques qui t’ont marqué récemment? “Celui de Rufus Wainwright, j’aime beaucoup. Mais j’achète très peu de disques…. ah Si, le dernier Page & Plant est très bien…. (rire général). “Au fait, où en sont tes relations avec Frank Black? (1)”Je ne lui ai pas parlé depuis cette fameuse nuit (rire). J’ai lu une interview de lui sur Internet, où on lui parlait de cette histoire, et apparemment il ne m’en veut plus. Du moins c’est ce qu’il prétend. Je ne sais toujours pas s’il a fini par écouter l’album… de toute façon, le disque était cassé… je me souviens qu’il était très en colère. Bon sang, j’étais complètement soûl, ce soir-là…. j’ai une mauvaise habitude: quand je suis bourré, j’ai envie de me battre. Mais je m’excuse, vraiment. “Mais tu aimes toujours les Pixies ? “Bien sûr. Sur disque. (I) En 95, à la recherche d’un producteur pour son second album, David Berman souhaitait rencontrer Frank Black à la fin de son concert. Mais devant le peu d’intérêt de Black, Berman lui a lancé un exemplaire de Starlite Walker en plein visage, avant d’être expulsé de la loge.